Chemsex : du théâtre provocateur et libérateur pour Éric Noël
« Ces regards amoureux de garçons altérés », cette pièce de l’auteur et dramaturge Éric Noël, écrite en 2015, joue à guichets fermés tout le mois d’avril et en supplémentaire au début de mai 2025 dans la petite salle intime du Théâtre Prospero, rue Ontario. Le théâtre annonce déjà une possible reprise en septembre 2025 étant donné le fort intérêt démontré par les amateurs.
Le synopsis est rigoureux. Au bout de 60 heures passées dans la chambre 158 d’un sauna gai de Montréal, un homme se réveille désorienté, vidé, brisé. Que s’est-il passé? Dans ce lieu minuscule transformé en théâtre de la confession, il remonte le fil des dernières années, des dernières heures. Foudroyé par la douleur aiguë du deuil amoureux, il se livre tout entier à ses désirs les plus enfouis, se débattant avec son manque et son envie de disparaître, jusqu’à la dépossession de son corps.
Cette parole inexorable, propulsée au crystal meth, fait écho à une détresse trop souvent invisibilisée dans la communauté queer à travers un chapitre dans la vie d’un être qui a besoin de sombrer tout entier avant de refaire surface dans la lumière du jour. Sous la direction sobre et précise de Philippe Cyr, le comédien Gabriel Szabo (photo ici-bas) fait résonner une langue incisive, à la fois crue et romantique, qui expose avec honnêteté le spectre de la dépendance.
Éric Noël est un dramaturge québécois né en 1984. Diplômé du programme d'écriture dramatique de l'École nationale de théâtre du Canada en 2009, il est l'auteur de trois pièces pour adultes : Faire des enfants, Tirade pour Henri et Ces regards amoureux de garçons altérés.
Ces regards amoureux de garçons altérés, récipiendaire en 2016 de l’Aide à la création du Centre national du théâtre de Paris, occupe une place marquante dans son parcours de par son caractère autobiographique. L’auteur en incarne d’abord lui-même l’unique personnage en 2015 au Festival du Jamais Lu. Puis en 2016, l’artiste Stanislas Nordey présente une lecture de la pièce au Théâtre Ouvert à Paris, en collaboration avec le Théâtre National de Strasbourg. Éric Noël
« Se prendre au piège est un art que très peu de gens maîtrisent mieux que moi », explique-t-il en entrevue. Ça en dit long sur le profil du personnage. La pièce a été écrite à partir de l’expérience personnelle d’Éric Noël avec le deuil amoureux, qui l’a mené vers le chemsex. « Sans glorifier quoi que ce soit, j’avais le désir que l’on ressente, que l’on comprenne les raisons pour lesquelles les gens prennent du crystal meth et font du chemsex, les raisons sous-jacentes, afin de réfléchir ensuite à des solutions pour mieux aborder la dépendance. »
Ce phénomène, combinaison de pratiques sexuelles et de consommation de drogues, peut paraître de prime abord marginal. Peu discuté dans l’espace public, le chemsex est pourtant une pratique courante dans toutes les strates de la société et a gagné en popularité au cours des dernières années. Les chiffres sont étonnants : 28 % des hommes gais, queers et non binaires sondés par la Direction de la santé publique de Montréal en 2022 avaient pratiqué le chemsex au cours des six derniers mois. De plus, selon des données de la clinique l’Actuel, « le nombre de consommateurs de crystal meth a doublé » entre 2010 et 2017.
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L'organisme RÉZO offre des services de soutien et d'information pour les personnes pratiquant le chemsex.
Pour plus de détails : Consommation en contexte sexuel